LA CONCURRENCE ET L’OFFICIER PUBLIC
Loin de moi l’idée de dire que la concurrence soit à proscrire systématiquement. L’honnêteté exige de lui reconnaître des vertus qu’il serait sûrement trop long d’énumérer ici. Elle participe de toute manière de la liberté, bien précieux qu’il ne saurait question de menacer de quelque manière que ce soit.
Mais quand même. Cette idéologie, car c’en est une, qui consiste à plaquer les règles de la concurrence sur toutes les activités sans distinction relève sûrement d’une approche totalement dépourvue de finesse. Et sans doute aussi, de la prise en compte d’intérêts individuels, par définition assez éloignés de l’intérêt commun.
Le notariat n’échappe pas à ce phénomène.
Première étape, un rapport. Il y en a eu beaucoup. La banque mondiale, par exemple. Mais le dernier est celui de notre incontournable « Inspection des finances ». Qui trouve le temps quand elle n’inspecte pas les finances publiques, dont il n’aura échappé à aucun d’entre vous qu’elles sont sûrement très bien « inspectées », d’inspecter celles du notariat. Pour, à coup de déciles, premiers et derniers, les trouver excessives et inadmissibles.
Aviez-vous entendu dans vos études, en dehors de quelques râleurs d’habitude, vos clients se plaindre du coût des émoluments? Des taxes, oui sûrement. Mais des émoluments? Quand vous leur expliquiez, à l’époque, que sur une vente les émoluments étaient à 0,825 %. Face à la rémunération de l’agence qui, concurrence aidant, se limitait à 5, 6 voire 7 % et plus.
Seconde étape, qui fait nécessairement suite à un rapport: une loi. Qui, si possible mais c’est toujours possible, portera pour la postérité le nom de son inventeur. Et nous avons donc eu la loi « Macron ».
Avec les cars et l’ouverture des commerces le dimanche (quelles retombées, au fait?), voici le notariat et quelques autres professions, dites « réglementées » et, donc, à déréglementer. Monsieur Macron n’est pas le seul responsable.
Rendons à César ce qui lui est. L’impératrice Europe lui a dicté la conduite à tenir. Ce qu’il a fait en loyal serviteur des intérêts, mieux défendus à Bruxelles, car plus puissants, que ne le sont ceux du notariat, de ceux qui voient dans le notariat et son activité une source de profits dont ils voudraient bien ne pas être tenus à l’écart. Et notre déesse bienfaitrice persiste. Les fameuses GOPE qui viennent de sortir mettent encore et toujours sur les freins à l’accès aux professions réglementées…
Alors, nous dit-on, comment favoriser l’accès à cette fonction? C’est tout simple: la transformer pour la ravaler au rang d’une simple profession. Autrement dit, faire passer au second rang l’aspect fonction d’officier public. Et pour cela, instiller comme l’on dit, de la concurrence là où cette notion est absente car totalement incompatible. Calquer sur une fonction d’officier public et son statut, les règles de fonctionnement inspirées de l’activité commerciale.
Cela ira de la liberté d’installation. Sous le fallacieux prétexte que cette liberté serait le gage de gain en points de croissance. A l’idée, heureusement abandonnée, de la suppression de tout tarif obligatoire. En passant par l’éjection pure et simple de la profession des procédures de contrôle de l’accès à la profession, au profit de l’Autorité de… la « Concurrence ».
On aura beaucoup dit et beaucoup écrit sur cette loi. On aura vécu beaucoup aussi. De la grande manifestation des professions réglementées à l’initiative du
CSN, à l’audition du SNN à l’assemblée où l’on apprendra, fortuitement mais de la bouche même de la présidente, Madame Untermaïer, que depuis le début le sort du notariat est scellé.
Mais on sera obligé de constater son succès. Succès en ce qu’elle a organisé la désorganisation de la profession. Désorganisation en prévoyant une installation sur les recommandations de l’autorité de la concurrence basées sur des critères pour le moins surprenants.
J’en veux pour preuve la création de zones calquées sur les bassins d’emploi.
Là où le notariat avait procédé à des études pertinentes et autrement plus affinées, des lieux d’installation possibles.
Désorganisation en facilitant l’adoptionde structures d’exercice empruntant largement aux activités commerciales.
Toujours dans l’esprit de favoriser cette fameuse concurrence aux fins de protection de l’usager, concurrence entre des officiers publics astreints à toutes sortes d’obligations d’un statut destiné par essence même à protéger l’usager.
Désorganisation en instituant la possibilité de rabais sur les émoluments. Mettant à mal le principe d’égalité d’accès au service public de l’authentification. On en passe, et des meilleures. Mais comment aujourd’hui, avec l’apaisement que procurent l’écoulement du temps et le recul, ne pas dire simplement que, en matière de réforme, c’est une réforme ratée.
Les créations? Qu’est-ce que c’est que ce bazar organisé, laissant à des diplômés le choix du lieu d’installation, sans véritable étude préalable pour la plupart d’entre eux. Ou, à tout le moins, sans leur donner les éléments importants tels que ceux relevés par l’étude qui avait été faite par le notariat dans le cadre de la CLON?
Pourquoi ne pas avoir décidé que les lieux d’installation sans risque étaient en priorité ceux dans lesquels les confrères ne pouvaient, faute de temps et de disponibilité, répondre de manière satisfaisante à leur obligation d’instrumenter?
Au lieu de cela, on crée des zones découpées de manière arbitraire, sans rapport direct avec l’activité notariale, sans prospective démographique ou économique. On organise un tirage au sort dans des conditions totalement improbables. Le « parcours’sup » du notariat.
On en remet une couche, principe de liberté d’installation oblige, menaçant par là même les nouveaux installés de la présence d’un « concurrent » (il faut bien l’appeler comme cela, le confrère dont vous serez solidaire à travers la caisse de garantie notamment). Sans se préoccuper de ceux qui ont abandonné avant même de prêter serment, ni de ceux qui céderont leur panonceau dans les mois ou l’année de leur tirage au sort. La vénalité des offices remise au goût du jour, c’est-à-dire même pas au profit de l’État.
Le tout assaisonné à la liberté de transfert, liberté oblige. Pour une loi présentée comme devant améliorer l’offre de services. Et garantir le maillage territorial.
Et que dire du tarif, dont on parle par ailleurs dans le présent numéro. Avec l’écrêtement des émoluments pour les petits actes. On croit rêver. Parler de maillage territorial en mettant en péril l’équilibre économique des petits offices de province. Avec aussi les possibilités de remises. Qui aboutissent dans un temps à favoriser un peu plus les gros offices.
Et qui, dans un second temps, celui de la récente réforme, vont tirer vers le bas, au profit des clients les plus aisés, les émoluments destinés, à travers un tarif autrefois mutualisé, à assurer l’équilibre économique de toute la profession et, au final, des usagers. L’ensemble aboutissant à l’obligation pour le conseil supérieur de mettre en place un système de péréquation.
Non. Partant de la nécessaire application de la concurrence indistinctement à toutes les activités, cette réforme en est arrivée à un véritable non-sens.
Ou bien nous exerçons une fonction d’officier public, et la concurrence est totalement hors de propos. L’usager n’en tire aucun profit au regard de ce qu’apporte la régulation résultant de l’application du statut.
Ou bien on veut faire du notariat une profession entièrement soumise aux aléas de l’activité économique et alors, et c’est qui sait le stade ultime, autant faire disparaître complètement le statut.
La seule chose qui fâche dans tout cela, c’est que le prétexte à tout ce remue-ménage serait, on nous le dit, la protection de l’usager, l’amélioration du service etc.
Si j’en juge par la qualité des steaks hachés dans le système de la concurrence libre et parfaite, j’ai des doutes. Appliqué au domaine qui est le nôtre, et par-dessus tout à la sécurisation des contrats, il faudra nécessairement mettre en place un système efficace de protection du consommateur.
Lequel pourrait alors, avec bonheur, s’inspirer du statut d’officier public.
Régis deLAFFOREST
Rédacteur en chef adjoint de Ventôse